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DJing et révolution numérique : la mort d'une profession ?

Par Johann

Il y a eu le temps des vinyles, des mixes compilés sur cassette audio, puis est venue la révolution du CD. Plus récemment, la technologie USB adaptée aux platines et logiciels de mix, et maintenant... le streaming. Mais révolution est-il synonyme d'évolution ?


Tout amateur de musiques électroniques un minimum informé est au courant des annonces, toutes récentes, de SoundCloud, Beatport, Pionner DJ ou encore Denon DJ : Il est désormais possible de mixer du streaming ! Bien. Et concrètement, qu'est-ce que ça change ?


Il est inutile de refaire l'historique des évolutions technologiques affectant le monde de la nuit, de nombreux ouvrages et articles s'en sont déjà chargés, et dans les grandes lignes, nous savons déjà tout cela.

Revenons sur l'histoire récente, cependant. Il y a déjà 10 ans, les platines CD permettaient de lire des supports USB. On criait au génie, on se lamentait aussi de la tournure que prenait la profession de DJ, avec du matériel qui faisait le travail à la place de l'homme (les joies de la synchronisation automatique) et le fait que la bonne époque du professionnel qui se déplaçait avec de la « matière », à savoir des valises de vinyles ou des pochettes de CDs, touchait à sa fin, au profit de jeunes à peine sortis du lycée, venant mixer avec leur casque Beats et une simple petite clé.



Début 2019, où en est-on ? La clé USB est rentrée dans la norme, le support CD n'existe plus vraiment (les platines récentes ne les lisent même plus) et le vinyle est revenu un peu à la mode, pour l'objet davantage que la qualité. Surtout, le DJ s'est adapté à la technologie, et celle-ci ne l'empêche pas de faire son métier, tel qu'il le faisait avant.

La révolution a donc été une bonne chose, dans le sens où elle a permis l'émergence de nouvelles pratiques, sans réellement impacter les anciennes. Il est toujours autant possible, voire davantage, de réaliser des performances de grande qualité, et très créative... mais il est également possible d'être rémunéré et reconnu... sans pratiquement rien faire de ses mains et de ses oreilles.



Quel impact attendre alors de la possibilité de jouer des sons en streaming ? On en reparlera dans 10 ans, mais les perspectives, en matière de qualité, semblent bien différentes cette fois-ci. Il faut associer cette annonce à la recrudescence des applications pour smartphones et tablettes, qui permettent de « mixer ».


Il y a quelques semaines, un scandale naissait d'une performance réalisée lors d'une soirée "Boiler Room" où l'artiste mixait avec son portable. Techniquement, rien de scandaleux, même si les possibilités et la technique sont limitées au minimum. L'impact sur l'image de la profession est en revanche énorme. Il suppose que toute l'humanité peut désormais, en ayant téléchargé une application et souscrit à un abonnement chez Beatport, SoundCloud ou autre, être un potentiel DJ.



Parle-t-on encore de profession, à ce niveau-là ? Ou le fait de mixer est-il un loisir ? Rémunère-t-on quelqu'un qui vient exercer un loisir dans le contexte d'une performance artistique ? Un professionnel, de renom ou non, aura-t-il toujours la même reconnaissance, artistique et financière, lorsque n'importe qui peut prétendre réaliser une performance auditivement similaire ?



Les dangers de l'usage du streaming sont nombreux. Aujourd'hui, un DJ se déplace avec un bagage technique, mais également un bagage musical. Il a pris le temps d'écouter, de rechercher, de créer, d'éditer, et de récupérer, sous une forme physique, qu'elle soit numérique ou non, tous les sons qu'il est susceptible de jouer, parmi une offre de morceaux pratiquement illimitée, à l'heure où il n'a jamais été aussi simple de composer et diffuser sa musique. Le DJ, de ce fait, est censé connaitre ses morceaux, ou à minima savoir quel titre, quel style, est le mieux adapté au moment présent.



L'investissement financier en termes d'achat et de téléchargement légal est également non-négligeable. Jouer du streaming permettrait, à l'image d'un abonnement à Netflix, de disposer d'une quantité monumentale de possibilités... sans la maîtriser, ni dans le fond, ni dans la forme, bien que le fait de pouvoir constituer des playlists résoudrait une grande partie de ce problème... mais n'empêcherait pas la tentation de sortir de ces sentiers qu'on aurait balisé à l'avance.



Autre danger, non-négligeable : le réseau. Que faire en cas de coupure subite d'Internet, de diminution du débit, d'expiration de son crédit de data ? L'exemple de la clé USB a démontré qu'à ne dépendre que d'un seul outil, le drame peut très vite arriver, et les solutions de repli, si elles ne sont pas possibles, ou pas aménagées, inexistantes. De quoi ruiner un événement, et pas forcément un petit.



Le dernier gros dilemme que ces nouvelles pratiques engendreraient est celui évoqué plus haut du développement des applications et de la présence de smartphones et tables comme seul matériel. Passer du son chez soi sur un écran grand comme la main, c'est une chose. Se produire en public, revendiquer une image, un statut, une performance, en est une autre.


2019 est indiscutablement année de révolution, pour le DJing. Les années à venir permettront de se positionner sur l'appellation d'évolution, ou non. Il semble nécessaire de cadrer l'émergence de ces pratiques, ce que ne manqueront pas de faire de nombreux clubs, et de nombreux artistes, soucieux d'un certain professionnalisme, ou de leur image, et de celle de la profession.

Il est néanmoins à craindre que ces nouvelles possibilités, que l'on pourrait qualifier de low-cost, puissent impacter encore davantage les pratiques de diminution des coûts, dans l'éternelle recherche du profit maximum, sans se soucier de la qualité de la prestation.

Les vrais passionnés, les créatifs, ceux qui s'investissent et cherchent à se promouvoir risquent d'être encore plus les victimes d'une nouvelle génération de « DJs » tirant les rémunérations vers le bas...et les prestations également.


Johann Article rédigé par Johann